L’Europe attentive au Sud-Caucase... et à ses intérêts
La mission mandatée par Joseph Borrell visite la frontière administrative entre la Géorgie, l'Abbkhazie et l'Ossétie du Sud. © UE.
Alors que l’Arménie prend des allures de protectorat russe et que la Turquie est devenue le parrain de Bakou, l’Europe veut promouvoir son rôle dans la région, carrefour avec l'Asie centrale, à la frontière du grand Moyen-Orient.
Par Anne-Marie Mouradian, journaliste spécialisée dans la politique de voisinage de l'Union européenne
Une mission mandatée par Josep Borrell, le chef de la diplomatie européenne, et composée d’Alexander Schallenberg, Bogdan Aurescu et Gabrielius Landsbergis, les ministres des Affaires étrangères d’Autriche, de Roumanie et de Lituanie, s’est rendue à Bakou, Erevan et Tbilissi les 25 et 26 juin, pour faire passer le message: « l’Europe ne vous abandonnera pas ». Autrement dit, pas question pour l’UE de se retirer devant les autres acteurs que sont les puissances régionales traditionnelles - Russie, Turquie, Iran - et la Chine.
Pékin avance ses pions à travers notamment sa Nouvelle route de la soie dont une ramification transite par l’Azerbaïdjan et la Géorgie pour atteindre le port roumain de Constanta. L’Europe de son côté a lancé en 2018 sa propre stratégie de connectivité avec l’Asie. « Le Caucase du Sud est important pour l'UE, en termes de corridors de transport la reliant à l'Asie et de diversification de ses ressources énergétiques. Nous devons donc favoriser le rôle de la région en tant que plaque tournante de la connectivité » souligne Josep Borrell.[1] Et l’éventuelle ouverture évoquée depuis la fin de la dernière guerre du Karabakh, d’un vaste chantier de construction d’infrastructures ferroviaires et routières fait miroiter de nouvelles opportunités d’investissement.
L’UE veut être plus qu’un acteur « complémentaire » dans la région. Elle reste toutefois confrontée aux ambiguïtés inhérentes à son partenariat oriental et à ses divisions. L’une des questions qui font le plus débat parmi les Vingt-sept concerne la connexion entre ce partenariat englobant six ex-républiques soviétiques dont les trois Etats sud-caucasiens et les relations avec la Russie.
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Vers une relance des activités du Groupe de Minsk et un nouveau leadership de la France ?
L’accord tripartite de cessez-le-feu à la guerre au Haut-Karabagh, signé le 9 novembre 2020 par l’Azerbaïdjan, l’Arménie et la Russie, est intervenu dans un contexte de panne du Groupe de Minsk. Créé en 1994 pour résoudre ce conflit, son processus de négociation semblait au point mort ces dernières années. Le déploiement des forces russes sur le terrain en « arbitre du Sud-Caucase », l’arrivée de Joe Biden à la présidence des États-Unis, les déclarations et votes de la France : tout porte à croire à une relance des activités du Groupe de Minsk - composée principalement de trois co-présidents (États-Unis, France, Russie) et des deux parties au conflit (Arménie, Azerbaïdjan). Mais selon quelle lecture de ses principes fondateurs ?
Par Anthony Renard
En 1992, le premier enjeu est de parvenir à un terrain d’entente entre les État belligérants. L’un des biais possibles lorsqu’aucun cessez-le-feu n’est déclaré consiste en l’intervention d’un tiers, médiateur du conflit, qui se veut neutre et impartial. C’est du moins le rôle que tente d’endosser la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe (CSCE) le 24 mars 1992 à Helsinki. Cette conférence est fondée sur l’idée d’un dialogue Est-Ouest[1]. Le Conseil de CSCE charge alors son président d’encourager les négociations de paix entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan à travers une conférence qui aurait dû avoir lieu à Minsk (Biélorussie). L’objectif est de retrouver et maintenir un terrain d’entente pacifique dans la région du Haut-Karabakh.
Ce sont là les prémices du Groupe de Minsk, fondé officiellement deux ans plus tard le 6 décembre 1994, dont les co-présidents sont les États-Unis, la Russie et la France. Il est composé d’ambassadeurs et de diplomates qui assurent le cadre des négociations.
A partir de 1992, la question du Haut-Karabakh passe d’une guerre régionale entre deux États, à un conflit de dimension internationale, notamment en intégrant les deux plus grandes puissances militaires mondiales, la Russie et les États-Unis. Si ces dernières sont les deux grandes rivales de la Guerre froide, le climat des années 1990 se caractérise par la volonté d’agir en tant que médiateurs des conflits[2]. Entre les deux, la France se présente également comme une puissance diplomatique importante.
En 1994 a été créé par l’OSCE le Groupe de Minsk, coprésidé par les EU, la France et la Russie. Pensez-vous que c’était une bonne idée ?
« Bien sûr, c’est une bonne idée. C’est un encadrement international pour ce conflit. La démarche est évidemment positive pour tenter de rapprocher, en tout cas de faire une médiation, entre les parties, en vue de trouver une solution acceptable pour tout le monde. Comment ne pas apprécier la démarche ? »[3]
Arménie : la question de sa souveraineté au cœur du scrutin du 20 juin
Les élections législatives anticipées qui se dérouleront le 20 juin en Arménie sont dominées par les questions de politique extérieure et de souveraineté dans un petit pays pris en étau entre l’Azerbaïdjan et un allié russe qui semble s’être rapproché de la Turquie à l’occasion de la guerre du Haut-Karabagh. Le point sur les candidats et leurs programmes.
Par Taline Ter Minassian, professeure d'histoire contemporaine de la Russie et du Caucase (Inalco, Paris)
Radar Media Info Sud-Caucase : Les élections législatives de 2018, portées par la révolution de velours, étaient dominées par les questions de politique intérieure ; le scrutin du 20 juin prochain consacre les questions de politique internationale. S’agit-il d’une situation réellement inédite pour autant ?
Taline Ter Minassian : A vrai dire depuis la fondation de l’Etat arménien contemporain en 1918-1920, c’est-à-dire depuis la Première République, la politique arménienne a toujours été surdéterminée par les problèmes de politique extérieure. L’Arménie était alors un petit Etat balloté par des enjeux géopolitiques surdimensionnés. Les dirigeants de l’Arménie dachnak de cette époque, mais aussi leurs plus farouches opposants devaient décider de la question de « l’orientation » du pays. Orientation pro-occidentale ? Ou au contraire orientation russe ? Très tôt, les dirigeants les plus pragmatiques de la Première République ont compris que l’Arménie devait avoir plusieurs fers au feu : devenir une démocratie parlementaire à l’occidentale tout en ne comptant pas trop sur l’Occident et en n’excluant pas d’avoir également une politique, voire même plusieurs politiques, à l’égard de Moscou. Car à cette époque, nul ne savait si le gouvernement bolchevik se maintiendrait au pouvoir ou si au contraire les généraux Blancs réussiraient leur projet de restauration de la Russie impériale. Que deviendrait alors la jeune république indépendante ? Cette surdétermination de l’Arménie par la question de l’orientation ainsi que par le problème des frontières existait déjà dans un contexte international tout aussi chaotique en 1918-1920. On le comprend parfaitement à la lecture des Mémoires de Rouben, singulièrement le volume 7 consacré à son expérience d’homme d’Etat dont la traduction française va paraître très prochainement aux Editions Thaddée.
Dans une perspective moins historique et plus actuelle, les élections anticipées du 20 juin ne forment pas un scénario inédit puisque que précisément, c’est ainsi que Nikol Pachinian est arrivé au pouvoir en 2018 au terme de la « Révolution de velours ». Au plan de la politique extérieure, et même de la question du Karabagh, il est vrai que personne n’en parlait à cette époque. Mais cela ne signifie pas que les problèmes de politique extérieure n’existaient pas : pendant que la foule comme sous le charme de Nikol Pachinian, manifestait en scandant des slogans assez flous voire même inconsistants, l’Arménie oubliait la question du Karabagh, oubliait aussi qu’elle avait des voisins hostiles méconnaissant l’extraordinaire dangerosité du contexte géopolitique régional dans l’arc des crises (de l’Ukraine à la Syrie) dont elle est l’un des maillons. Les questions internationales existaient alors bel et bien mais elles sont malheureusement restées à l’arrière-plan, comme rejetées dans l’inconscient collectif. La catastrophe de la guerre des 44 Jours (27 septembre-10 novembre 2020) a découlé de cette incapacité à se projeter dans l’environnement régional et même mondial. Pour répondre donc à votre question, je dirai que les questions internationales ne vont pas peser davantage : le sort de l’Arménie semble scellé par le cessez-le-feu du 10 novembre orchestré par Poutine. Existe-t-il une autre alternative ? Les candidats en lice ont-ils réellement la possibilité de formuler un programme alternatif en matière de politique extérieure ? Je suis assez sceptique.
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La Chine : un nouvel acteur du Sud-Caucase ?
La Chine est une puissance dont la présence se fait de plus en plus ressentir dans le Sud-Caucase. Si pendant longtemps la région a été ignorée par la politique extérieure de Pékin, elle est aujourd’hui un marché à conquérir pour les entreprises chinoises.
Par Anthony Renard
Les intérêts de la puissance asiatique sont essentiellement économiques. En effet, le coût du transport maritime des marchandises de la Chine vers l’Europe est à la hausse depuis plusieurs années, d’autant plus depuis la crise sanitaire mondiale où les coûts ont quadruplé entre octobre 2020 et janvier 2021.[1]
Le Sud-Caucase apparaît comme l’opportunité pour la Chine de construire ou reconstruire la Route de la Soie vers l’Europe, en favorisant le transport ferroviaire à travers l’Azerbaïdjan et la Géorgie. C’est pourquoi, depuis la chute de l’URSS en 1991, la Chine investit dans les secteurs « de la construction et de la banque ».[2] Ainsi, Pékin s’immisce dans l’économie sud-caucasienne, et favorise les partenariats économiques dans l’optique de dessiner cette nouvelle route qui réduira davantage les coûts de transports des marchandises vers le Vieux Continent.
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Le génocide des Arméniens reconnu par Joe Biden. Aspects étasuniens et impacts à l'international
La reconnaissance du génocide des Arméniens par le président Joe Biden a surpris l’opinion publique internationale dans un contexte où les États-Unis ont toujours besoin de leur alliée la Turquie. Cette reconnaissance est le fruit d’un processus complexe qui s’est étalé sur plusieurs décennies, avec pour vocation d’apporter une réponse politique sur la scène interne plutôt qu’internationale. Julien Zarifian analyse les ressorts et la portée de cet acte politique fort.
Par Julien Zarifian, maître de conférences en histoire des États-Unis à CY Cergy Paris Université et membre junior de l’Institut Universitaire de France
Le 12 mai 2021
Radar Media Info Sud-Caucase : La reconnaissance du génocide arménien par le président Biden a surpris l'opinion publique internationale. Elle est pourtant le résultat d'un processus qui s'est étalé sur plusieurs décennies. Quels en sont les grands traits ?
Julien Zarifian : Ce processus est le fruit des efforts de ce qu’on peut appeler la communauté arménienne organisée, c’est-à-dire principalement les organisations politiques et les activistes arméno-américains, aujourd’hui regroupés, pour l’essentiel, autour de l’Armenian National Committee of America (ANCA) et l’Armenian Assembly of America (AAA). Il débute véritablement au début des années 1970, consécutivement aux mobilisations pour le cinquantième anniversaire du génocide arménien en 1965, qui signent le renouveau de la cause arménienne. Pour contrecarrer le négationnisme turc qui se sophistique et pour pouvoir commémorer pleinement et sereinement le génocide dans leur pays, les Arméniens des États-Unis cherchent peu à peu à s’assurer que les différents échelons du pouvoir américain reconnaissent sans équivoque la réalité de cette tragédie. Et ils constatent rapidement que, du fait des pressions d’Ankara, ce n’est pas vraiment le cas. Ils entament donc une lutte sans relâche pour atteindre cette reconnaissance, qui aurait dû être une formalité, d’autant que, dès les années 1980-1990, la recherche historique sur la question ne laisse plus de doute sur la dimension génocidaire des massacres de 1915. Malgré des succès importants, les Arméniens et leurs soutiens à Washington buttent systématiquement sur le refus de l’Exécutif, et en particulier du département d’État, de contrarier l’allié turc. La reconnaissance formelle par les deux chambres du Congrès fin 2019, puis la prise de position récente du président Biden, viennent ainsi clore un chapitre long et pénible pour les Arméno-Américains et leurs amis, qui ont dû se démener pendant des décennies, en accumulant des revers qui ne les ont pour autant jamais découragés.
Quelle protection pour le patrimoine culturel du Sud-Caucase ?
Les trois États subcaucasiens lors de l'indépendance en 1991, Géorgie, Arménie, Azerbaïdjan. Source : Ministère français des Affaires Étrangères. ©DR
Universitaires et professionnels du patrimoine européens, russes et originaires du Sud-Caucase se sont réunis (en ligne) le 15 avril 2021 à l’initiative de l’Institut national du patrimoine (France). Cette journée d’étude intitulée « La protection du patrimoine culturel du sud Caucase » a permis aux trois États de la région - Arménie, Azerbaïdjan, Géorgie - de présenter leurs politiques publiques en matière de conservation du patrimoine dans un contexte tendu où, après une victoire militaire au Karabagh, l’Azerbaïdjan cherche à catégoriser des églises arméniennes comme oudies et albaniennes, effaçant une présence arménienne pourtant millénaire et attestée. Jean-Pierre Mahé, académicien, grand spécialiste de la région, a rappelé dans son discours d’ouverture la richesse des patrimoines de Subcaucasie et la nécessité de les protéger dans le respect de leur histoire, car elles appartiennent au patrimoine de l’humanité. Retrouvez l’intégralité de cette allocution d’une grande ampleur, restituant l'histoire du patrimoine du Karabagh et de la région dans toute sa complexité à partir des sources dont dispose la recherche aujourd'hui.
Par Jean-Pierre Mahé, membre de l’Institut de France, Académie des Inscriptions et Belles-Lettres
La Subcaucasie. Patrimoines et polyphonie culturelle
Certains pays d’Asie, du Proche ou du Moyen Orient, sont comme des portes ouvertes sur l’abîme des siècles ou des millénaires. Le temps y semble plus dense et plus profond qu’ailleurs. Les trois États subcaucasiens, qui s’étendent entre la Mer Noire et la Mer Caspienne, Géorgie, Azerbaïdjan et Arménie, offrent tout à la fois les vestiges vivants d’un univers englouti et une aire géostratégique à la lisière des mondes, constamment exposée aux flux des échanges, à la concurrence des langues, à l’affrontement des civilisations et des cultures.
Au nord, ils avoisinent les cimes les plus hautes de l’ancien monde occidental, la chaine du Grand Caucase, où les premiers historiens des conquêtes d’Alexandre virent souvent le prolongement occidental de l’Himalaya. Quand on emprunte la route militaire des Ossètes, depuis Tbilisi jusqu’à Kasbégi, et qu’on prend un 4/4 pour atteindre l’église de la Trinité (Saméba), on arrive au mont Gergeti. En dessous de cet énorme pic rocheux, repose le Prométhée géorgien, Amirani, enchaîné dans une caverne. La masse de la montagne l’empêche de sortir, de crainte qu’il ne provoque à nouveau le Créateur et n’entreprenne de construire un monde meilleur, d’un bout à l’autre de l’isthme subcaucasien.
Tout en contraste avec ces luttes titanesques, gigantomachies des origines, les antiques royaumes subcaucasiens voisinent au sud et sud-est avec le croissant fertile syro-mésopotamien d’où a émergé la civilisation, cinq à six mille ans avant notre ère. Partout subsistent des monuments antiques et médiévaux, mais ce n’est que la partie visible de l’iceberg. Le sol qui bruit sous les pas des vivants recèle tant de témoins d’époques disparues !
C’est à Dmanisi, au sud-ouest de Tbilisi, qu’on a retrouvé les plus vieux ossements humains d’Eurasie. Ils s’inscrivent sur l’itinéraire qui conduisit, par glissements insensibles, de génération en génération, sur des millions d’années, les plus anciens représentants de notre espèce, partis de leur berceau africain, à travers le Proche Orient et le Caucase, jusqu’à l’Europe et les profondeurs de l’Asie.
Mais les montagnes et les vallées subcaucasiennes abondent en alignements et en vestiges préhistoriques. Les pierres taillées ou polies, les outils métalliques, les poteries, permettent d’établir la chronologie relative de ces sites sur plusieurs millénaires. On arrive ainsi aux périodes ourartienne, puis perse-achéménide, et aux antiquités hellénistiques et romaines. Viennent enfin les monuments païens, zoroastriens, chrétiens ou musulmans, qui affleurent en surface ou sont intégralement conservés. Ils ponctuent l’histoire des deux millénaires de l’ère commune, rythment la vie des habitants, et attirent de nos jours des flots de visiteurs étrangers.
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Accord CEPA : vers un meilleur ancrage de l’Union européenne en Arménie et au Sud-Caucase ?
©UE
L'Accord de Partenariat global et renforcé entre l’Arménie et l’Union européenne (CEPA)[1] est entré oficiellement en vigueur le 1er mars 2021. Il vise à désenclaver l’Arménie en contrepartie de réformes structurelles. Après l’accord d’association avec la Géorgie en 2014 et alors qu’un accord avec l’Azerbäidjan est en discussion, l’Union Européenne tente de renforcer son rôle dans la région.
Par Anne-Marie Mouradian, journaliste spécialisée dans la politique de voisinage de l'Union européenne
« Au Karabakh comme en Syrie et en Libye, en l’absence des Européens, Russes et Turcs se sont arrangés entre eux en recourant aux armes » reconnait Josep Borrell, le Haut représentant de l’UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité lorsqu’il évoque le recul de l’influence européenne y compris dans sa politique de voisinage. Il voit une Europe aujourd’hui très divisée, marginalisée sur la scène internationale et « herbivore dans un monde de carnivores ».
Au Sud-Caucase, si on est très loin de la stabilité et de la sécurité que l’Union européenne prétendait apporter à travers sa politique de voisinage, elle reste un acteur bien réel et important (certes limité sur le plan géostratégique) car pourvoyeur d’aide financière, de soutien aux réformes et de débouché commercial. La concurrence est forte puisque la Chine s’intéresse de plus en plus à la région et que ses échanges commerciaux progressent au détriment de ceux de l’Europe et de la Russie.
Les trois pays sud-caucasiens font partie des six ex-républiques soviétques[2] concernées par le Partenariat oriental de l’UE. C’est dans ce cadre que l’Europe a conclu un accord d’association avec la Géorgie en 2014, le CEPA avec l’Arménie en 2017 et qu’elle négocie actuellement un accord avec Bakou. Contrairement à ses deux voisins, l’Azerbaidjan est mal noté en matière de démocratisation mais l’UE, soucieuse de diminuer sa dépendance vis-à-vis du gaz russe considérée comme une menace pour sa sécurité énergétique[3], a trouvé en Bakou un partenaire pour diversifier ses approvisionnements. Après l’achèvement du gazoduc trans-adriatique[4], dernier tronçon du Corridor gazier sud-européen, les Européens ont commencé fin 2020 à recevoir du gaz pompé depuis le champ offshore de Shah Deniz en Azerbaïdjan et acheminé via la Géorgie, la Turquie, la Grèce, l'Albanie, la mer Adriatique jusqu’au terminal italien de Melendugno. La Commission européenne évoque certes les violations des libertés fondamentales dans ses rapports annuels sur l’Azerbaïdjan mais estime que ses moyens de pression sont limités, le levier financier puissant dans d’autres pays du voisinage, le serait beaucoup moins en Azerbaïdjan qui bénéficie de l’argent du pétrole.
Prisonniers de guerre du Haut-Karabagh : où en est-on ?
Par Arman Tatoyan, Défenseur des Droits d’Arménie
Radar Media Info Sud-Caucase : Plusieurs mois après la fin de la guerre du Haut-Karabagh, y a-t-il encore des prisonniers de la guerre de 45 jours (capturés avant l'accord de paix du 10 novembre), en Azerbaïdjan ou en Arménie ?
Arman Tatoyan : Oui, il y a des prisonniers de guerre arméniens, capturés avant la déclaration trilatérale du 9 novembre 2020, qui sont toujours détenus en Azerbaïdjan à ce jour, et ceci en dépit du principe d’un échange de « tous contre tous » qui avait été annoncé. L’Arménie a libéré tous les prisonniers de guerre azéris mais la réciproque n’est pas vraie. Non seulement les autorités azerbaïdjanaises ont retardé artificiellement la libération des captifs de la partie arménienne, mais pour ceux qui sont toujours emprisonnés, les vrais chiffres ne sont pas communiqués. De plus, nous avons noté de nombreux cas où, malgré les preuves accablantes confirmées par des vidéos et d'autres éléments, les autorités azerbaïdjanaises continuent de refuser l'accès aux personnes détenues et/ou retardent le processus d'approbation des visites.
Radar Media Info Sud-Caucase : L'Azerbaïdjan a fait état de nouveaux prisonniers capturés à la mi-décembre après la signature de l'accord de cessez-le-feu du 10 novembre. Comment sont justifiés ces emprisonnements ?
Arman Tatoyan : En effet, 62 militaires arméniens ont été capturés après l’accord de cessez-le-feu alors qu’ils étaient dans l’exercice normal de leurs fonctions, et l’Azerbaïdjan a lancé une offensive politique internationale en les qualifiant de terroristes.
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A la recherche des « nouvelles frontières » entre le Haut-Karabagh, l’Azerbaïdjan et l’Arménie
L’heure est au tracé de nouvelles frontières entre le Haut-Karabagh, l’Azerbaïdjan, l’Arménie, suite à l’accord de cessez-le-feu du 9 novembre qui acte la rétrocession de plusieurs territoires à l’Azerbaïdjan. A l’occasion d’une mission sur place[1], l’historienne Taline Ter Minassian analyse les nouveaux tracés et processus juridico-politiques en cours, ainsi que les nombreuses questions que ceux-ci soulèvent.
Par Taline Ter Minassian, professeure d'histoire contemporaine de la Russie et du Caucase (Inalco, Paris)
Radar Media Info Sud-Caucase : L'accord tripartite de cessez-le-feu du 9 novembre a imposé la rétrocession des territoires occupés à l’Azerbaïdjan et la réduction du territoire du Haut-Karabagh. Quel est l’impact de cet accord sur les frontières entre l’Arménie, l’Azerbaïdjan et le Haut-Karabagh ?
Taline Ter Minassian : Un simple coup d’œil sur la carte qui résulte de l’accord de cessez-le-feu montre l’ampleur de la défaite arménienne d’un simple point de vue territorial. La situation actuelle est d’une part le reflet de la situation militaire : l’avance azérie par le sud, qui a failli submerger la capitale du Haut-Karabagh, Stepanakert, ne s’est arrêtée qu’à Chouchi, haut-lieu doté d’une forte valeur symbolique pour les deux parties belligérantes, tombée le 9 novembre, date commémorative du Jour de la Victoire en Azerbaïdjan. Les territoires « occupés » du sud, où s’est déroulée la majeure partie des combats (Zangilan, Djebraïl, Fizuli), sont désormais revenus à l’Azerbaïdjan. Mais d’une part, le Haut-Karabagh lui-même (dans les limites du Haut-Karabagh tel qu’il existait à l’époque soviétique) est amputé de sa partie méridionale faisant de Chouchi le poste avancé d’une nouvelle ligne de démarcation se prolongeant vers l’est jusqu’au sud de Mardouni ; d’autre part, la rétrocession des districts de Kelbadjar et de Latchine à l’Azerbaïdjan, territoires tampons occupés par l’Arménie depuis 1993-1994, a créé de nouvelles frontières entre ce qui reste au territoire du Haut-Karabagh et l’Azerbaïdjan : au nord, la route de Vartenis qui faisait la jonction avec l’Arménie est désormais coupée et le monastère de Dadivank se retrouve sous l’autorité de l’Azerbaïdjan. De nouvelles frontières internes à l’Azerbaïdjan avec l’entité du Haut-Karabagh se sont dessinées, potentiellement conflictuelles dans la mesure où nul ne sait à ce jour quel sera le statut définitif du Haut-Karabagh. Si l’on retourne à la carte générale de l’accord de cessez-le-feu, il est facile de constater que la rétrocession des districts de Kelbadjar et de Latchine, crée une « nouvelle » frontière avec l’Arménie. Je dis « nouvelle », mais cette frontière n’a jamais vraiment été matérialisée à l’époque soviétique. Du sud au nord, la frontière orientale de l’Arménie désormais en contact direct avec l’Azerbaïdjan offre son flanc le long d’une ligne erratique qui ne correspond malheureusement à aucune ligne de relief ou voie naturelle s’imposant d’elle-même. Ce n’est pas la vallée du Rhin !
Le grand écart d’Ankara entre l’OTAN et la Russie
Par Anne-Marie Mouradian
Les interventions armées de la Turquie, de la Méditerranée au Caucase, et son rapprochement tactique avec Moscou ont remis en cause les solidarités qui lient les membres de l’OTAN. Considéré à l’époque de la guerre froide comme le « pilier oriental » de l’organisation nord-atlantique, le pays est passé du statut d’allié « capricieux » à celui de « problème ».
Une ligne rouge a été franchie fin 2020 avec la saga de l’achat par Ankara du système de défense antiaérien russe S-400 susceptible de menacer la sécurité des avions de l’Alliance - y compris les F-35, les chasseurs furtifs américains de dernière génération. En décembre 2020, en vertu de la législation « Countering America's Adversaries Through Sanctions Act » (CAATSA), Washington a suspendu la participation de la Turquie au programme de fabrication des F-35, tout comme ont été suspendues les licences d’exportation des équipements de défense américains vers ce pays. Même si Ismaël Demir, le président de la société d’Etat turque chargée des acquisitions militaires (SSB), a minimisé l’importance de ces sanctions américaines, elles semblent avoir fait réfléchir Ankara qui a troqué un temps les insultes pour un appel au dialogue avec l’administration Biden.
La confiance est désormais sérieusement ébranlée, mais la convergence d’intérêts reste importante et les États-Unis semblent chercher à préserver les relations de base, sachant qu'un jour viendra où Erdogan, qui voit sa popularité baisser, ne sera plus au pouvoir. De son côté, la Turquie veut, tout en poursuivant ses propres ambitions géopolitiques et sa coopération militaire avec Moscou, conserver tous les avantages de son appartenance à l’OTAN car celle-ci contribue à son influence dans la région, de l’Albanie à l’Azerbaïdjan.
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Fondements juridiques internationaux de l’indépendance de la République d’Artsakh / Haut-Karabagh
Par Otto Luchterhandt, professeur de droit à l’université de Hambourg
7 fondements juridiques de droit international justifient l’octroi du statut de pays indépendant à la république d’Artsakh / Haut-Karabagh. Cette analyse, parue en allemand le 30 septembre 2020, reste d’actualité au regard des territoires autodéterminés de la République d’Artsakh dont le statut international est toujours en suspens après l’accord de cesser le feu du 10 novembre 2020. Or, en l’absence de statut clair, le conflit reste sans résolution sur le fond. Radar Media vous propose la traduction en français de cette analyse juridique de référence.
- (1) L’indépendance de la République d’Artsakh / Haut-Karabakh a son fondement juridique officiel en droit international dans le principe du droit à l’autodétermination des peuples. Son respect et sa réalisation sont expressément reconnus comme l’un des « Objectifs des Nations unies » (art. 1 n° 2 ; art. 55 de la Charte des Nations unies). Le contenu juridique de ce principe est déterminé par l’article 1, paragraphe 1, formulé de manière identique dans les deux Pactes internationaux des Nations Unies du 16 décembre 1966 relatifs aux droits civils et politiques et aux droits économiques, sociaux et culturels, entrés en vigueur en 1976. Il s’agit du « droit de tous les peuples de décider librement et sans ingérence extérieure de leur statut politique et d’orienter leur développement économique, social et culturel ». Le pouvoir de décider librement de son statut politique a été concrétisé par les Nations unies en 1970 dans le (cinquième) « Principe de l’égalité des droits et de l’autodétermination des peuples de la Déclaration sur les relations amicales1, avec la reconnaissance des « possibilités » suivantes : 1. Création d’un État souverain et indépendant ; 2. Libre association avec un État indépendant ; 3. Libre intégration dans un État indépendant ; 4. Adhésion à un autre statut indépendant librement choisi par le peuple. Le droit à l’autodétermination des peuples a la qualité d’un « droit impératif » (ius cogens). Il s’agit donc de l’une des normes les plus importantes du droit international. Les traités entre États qui sont contraires à ce principe sont nuls et non avenus.
Doter l’Arménie d’un centre de contrôle satellite grâce à une coopération avec la France
Par Raffi Mussalian, Expert Satellite & Lanceurs
Radar Media Info Sud-Caucase : Nous avons beaucoup parlé des drones durant la seconde guerre du Haut-Karabagh, peut-on aussi considérer que les technologies spatiales ont joué un rôle et comment apprécier leur impact ?
Raffi Mussalian : Le nombre impressionnant de drones qui s'est abattu sur les Arméniens n’a pas été guidé par des satellites mais par des avions de type F16 pilotés par des officiers de l’armée turque. Les technologies spatiales n'ont donc pas participé directement au combat. Mais le satellite d'observation de la terre SPOT 7 que l'Azerbaidjan a acheté à la France a certainement servi à collecter les images satellitaires qui ont permis le repérage des cibles, c'est-à-dire une cartographie complète de l'Arménie et de l'Artsakh (Haut-Karabagh).
Quand Dana Mazalova, juriste et journaliste tchèque, atteste que les massacres de Khodjalu (1992) sont - déjà - une mise en scène de l’Azerbaïdjan
Le contexte : En 1921, le Haut-Karabagh, alors habité par 94% d’Arméniens, est placé sous administration de l’Azerbaïdjan soviétique par le bureau caucasien du parti bolchévique, dans un contexte de rapprochement des russes avec la Turquie Kémaliste. La Russie voyait alors en Mustapha Kemal un garant pour les perspectives d’expansion de la révolution bolchévique dans les pays turcophones et musulmans d’Asie centrale.
La technique de lobbying de l’Azerbaïdjan durant la guerre du Haut-Karabakh : des récits clefs en main dans les grands médias américains
En 2017, le journal The Guardian publiait une enquête sur le lobby de l’Azerbaïdjan, financé par le blanchiment d’argent : entre 2012 et 2014, trois millions de dollars sont sortis chaque jour du pays pour transiter vers quatre sociétés britanniques off shore (gérées de l’étranger). Cet argent a ensuite été dépensé dans divers pays, y compris l’Allemagne, le Royaume-Uni, la France, l’Iran ou le Kazakhstan, pour acheter l’influence de personnalités du monde politique.