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L'Accord de Partenariat global et renforcé entre l’Arménie et l’Union européenne (CEPA)[1] est entré oficiellement en vigueur le 1er mars 2021. Il vise à désenclaver l’Arménie en contrepartie de réformes structurelles. Après l’accord d’association avec la Géorgie en 2014 et alors qu’un accord avec l’Azerbäidjan est en discussion, l’Union Européenne tente de renforcer son rôle  dans la région.

 

Par Anne-Marie Mouradian, journaliste spécialisée dans la politique de voisinage de l'Union européenne

 

« Au Karabakh comme en Syrie et en Libye, en l’absence des Européens, Russes et Turcs se sont arrangés entre eux en recourant aux armes » reconnait Josep Borrell, le Haut représentant de l’UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité lorsqu’il évoque le recul de l’influence européenne y compris dans sa politique de voisinage. Il voit une Europe aujourd’hui très divisée, marginalisée sur la scène internationale et « herbivore dans un monde de carnivores ».

Au Sud-Caucase, si on est très loin de la stabilité et de la sécurité que l’Union européenne prétendait apporter à travers sa politique de voisinage, elle reste un acteur bien réel et important (certes limité sur le plan géostratégique) car pourvoyeur d’aide financière, de soutien aux réformes et de débouché commercial. La concurrence est forte puisque la Chine s’intéresse de plus en plus à la région et que ses échanges commerciaux progressent au détriment de ceux de l’Europe et de la Russie.

Les trois pays sud-caucasiens font partie des six ex-républiques soviétques[2] concernées par le Partenariat oriental de l’UE. C’est dans ce cadre que l’Europe a conclu un accord d’association avec la Géorgie en 2014, le CEPA avec l’Arménie en 2017 et qu’elle négocie actuellement un accord avec Bakou. Contrairement à ses deux voisins, l’Azerbaidjan est mal noté en matière de démocratisation mais l’UE, soucieuse de diminuer sa dépendance vis-à-vis du gaz russe considérée comme une menace pour sa sécurité énergétique[3], a trouvé en Bakou un partenaire pour diversifier ses approvisionnements. Après l’achèvement du gazoduc trans-adriatique[4], dernier tronçon du Corridor gazier sud-européen, les Européens ont commencé fin 2020 à recevoir du gaz pompé depuis le champ offshore de Shah Deniz en Azerbaïdjan et acheminé via la Géorgie, la Turquie, la Grèce, l'Albanie, la mer Adriatique jusqu’au terminal italien de Melendugno. La Commission européenne évoque certes les violations des libertés fondamentales dans ses rapports annuels sur  l’Azerbaïdjan mais estime que ses moyens de pression sont limités, le levier financier puissant dans d’autres pays du voisinage, le serait beaucoup moins en Azerbaïdjan qui bénéficie de l’argent du pétrole.

La dépendance sécuritaire et économique de l’Arménie envers la Russie dérange, quant à elle, ceux qui, à l’OTAN et dans certains Etats membres hantés par la « menace soviétique » rêvent d’un bloc caucasien émancipé de Moscou. En 2017, la signature du CEPA sous le gouvernement de Serge Sarkissian a été célébrée à juste titre comme un succès diplomatique de Erevan. Dans un bel exercice d’équilibrisme, l’Arménie réussissait à devenir le seul Etat membre de l’Union économique eurasiatique (UEE) dominée par Moscou à nouer une relation forte avec l’UE. Elle a du toutefois renoncer sous la pression du Kremlin à la création d’une zone de libre-échange avec l’Europe, incompatible avec ses obligations envers l’Union eurasiatique. A ce titre, le CEPA est moins ambitieux que l’accord d’association entre l’UE et la Géorgie.

Autre différence, il n’évoque pas d’aspiration à adhérer à l’Union européenne. La Géorgie dont les avancées démocratiques se sont accompagnées d’un virage résolument pro-occidental et pro-OTAN en payant le prix de son émancipation envers Moscou, est qualifiée à Bruxelles de meilleur élève du Partenariat oriental.

Le CEPA pour sa part fait référence à des valeurs communes et à un rapprochement progressif avec les législations et normes de l'UE. Cette « européanisation » est considérée comme la voie vers la modernisation, la démocratisation et le développement socio-économique de l’Arménie. 

Désenclaver en contrepartie de réformes structurelles

Depuis juin 2018, l’accord a fonctionné « à titre provisoire » en attendant sa ratification par l’Arménie et tous les Etats membres de l’UE. Doté d’un premier plan d’action, il comporte des conditionnalités importantes.

En contrepartie de l’aide financière et technique européenne, l’Arménie doit mener à bien ses réformes structurelles dans une multitude de secteurs : gestion budgétaire, justice, éducation, santé, administration publique, concurrence, cadre des affaires...Le CEPA devrait également contribuer au développement du commerce, du tissu de PME, de l’emploi, des transports, de l’agriculture, l'efficacité énergétique, la protection de l'environnement…Et renforcer la coopération dans les domaines de la science, la technologie, la culture, le tourisme, la jeunesse. Autrement dit, l’accord européen touche à tout. Il encourage aussi le développement d’une société civile arménienne plus autonome. Celle-ci est impliquée dans la mise en œuvre de l’accord à travers une Plate-forme de la Société civile qui regroupe de nombreuses ONG.

Pour démontrer sa volonté de se conformer à ses obligations européennes, l’Assemblée nationale arménienne votait dès décembre 2017 une loi pénalisant les violences faites aux femmes, la population restant toutefois sceptique quant à la volonté des dirigeants de l’époque de traduire cette nouvelle réglementation dans les actes. Si les anciennes élites pouvaient sembler réticentes à s’aligner sur les standards de l’UE, Bruxelles a salué la Révolution d’avril 2018 et l’engagement de Nikol Pachinian à briser les monopoles oligarchiques comme  la manifestation de l’attachement des Arméniens aux valeurs européennes, tout en disant attendre des résultats mesurables.

Même si son soutien financier n’a pas été à la hauteur des « changements tectoniques » engendrés par la Révolution de velours selon le Premier ministre Pachinian, l’UE a intensifié sa coopération. C’est le cas notamment dans le secteur de la justice après l’adoption à partir de 2919 par Erevan de stratégies judiciaire, anti-corruption, des droits de l’Homme, concernant la police ou encore d’une loi facilitant la levée du secret bancaire. D’une manière générale, Bruxelles a doublé ses subventions qui ont atteint 65 millions € par an en 2019 et 2020[5].

Les citoyens arméniens attendent des réformes qu’elles améliorent leur vie quotidienne. Parmi une multitude de projets financés[6], le CEPA a soutenu en 2019 quelque 8300 PME dans des secteurs divers avec à la clé la création de 4500 emplois[7]. EU-GAIA l’« Initiative européenne pour l'agriculture verte en Arménie » vise, dans un pays où l'agriculture représente une source majeure d'emplois et plus de 15% du PIB, à développer le potentiel élevé du pays pour la production verte et biologique. Début 2021 a été inauguré à Hovk dans le Tavush, le premier centre arménien de formation en agriculture verte. La mise en œuvre à part entière de l’accord depuis mars élargit la coopération aux domaines qui n'étaient pas soumis à son application provisoire. Il lui faut en même temps s’adapter à un contexte profondément modifié depuis l’an dernier.

De nouveaux défis avec le retour en force de la Russie

Avant la crise du Covid-19, l’Arménie avait enclenché une dynamique économique positive et connu trois années de forte croissance (près de 7% en 2019). En 2020, le double choc constitué par la pandémie et le conflit armé avec l’Azerbaïdjan a brisé cette dynamique, entraînant une profonde récession. « La croissance du PIB devrait très faiblement se redresser en 2021 et plus fortement en 2022 mais il est peu probable que l’économie revienne aux niveaux de production pré-COVID avant 2023 » selon la Banque mondiale[8]. Les autorités tentent d’atténuer les dommages socio-économiques de la crise avec le soutien des institutions internationales comme le FMI et de l’Europe.

Par ailleurs, depuis la défaite et le cessez-le feu au Karabakh suivi du déploiement des forces russes de maintien de la paix, la dépendance sécuritaire de l’Arménie envers la Russie s’est encore accentuée. Moscou dispose plus que jamais d'un ensemble d'outils pour affecter, s’il en éprouve le besoin, la manière dont certaines politiques de l'UE sont reçues et mises en œuvre. Le « protecteur russe » reste aussi le premier partenaire commercial[9] devant l’Europe, le fournisseur de 90% des importations énergétiques de l’Arménie, le premier investisseur étranger[10] et la source de 63 % des transferts de fonds d’expatriés.

Le CEPA quant à lui vise à désenclaver économiquement l’Arménie en l’aidant à exporter davantage vers l’Europe et en encourageant les entreprises de l’UE à s’y installer. Même s’il est difficile de dire ce qui arrivera dans un avenir proche, pour Erevan il s’agit encore et toujours, sur fond de tensions entre les deux camps, de naviguer sur la ligne de crête entre son indispensable alliance russe et son ancrage européen. L’Union européenne, elle, espère bien accroître son rôle dans la région.

 

Focus : Une énergie verte en Arménie grâce au CEPA ?

Le silence de l’Europe tout au long de l’agression armée azéro-turque contre les Arméniens au Karabakh à l’automne 2020 a laissé des traces. A l’occasion de l’entrée en application du CEPA, la déléguée de l’UE à Erevan, Andrea Wiktorin, a démenti « de fausses informations » circulant sur les réseaux sociaux. L’une d’elles affirmait que l’UE veut imposer la fermeture de la centrale nucléaire de Medzamor qui fournit toujours un tiers de l’électricité du pays, mais est vieillissante. L’article 42 de l’accord encourage le déclassement de la centrale mais conditionné au développement de capacités énergétiques de remplacement, précise Andrea Wiktorin : « C’est au gouvernement arménien de décider s’il va ou non se rapprocher de la législation et des normes de sécurité énergétique européennes. Plus il s’engagera sur cette voie, plus notre aide sera importante ». L’Arménie bénéficie du soutien de l’UE pour développer des énergies vertes et pour la construction de sa première grande centrale solaire photovoltaïque de Masrik-1, dans la province de Gegharkunik.

Dans le même temps, Erevan examine avec Moscou la possibilité de construire une nouvelle centrale nucléaire.

 

Anne-Marie Mouradian

 

[1] Comprehensive and Enhanced Partnership Agreement

[2] Le partenariat oriental est une politique de voisinage de l'Union européenne visant à conclure des accords avec l'Arménie, l'Azerbaïdjan, la Géorgie, la Moldavie, l'Ukraine et la Biélorussie. Il a été lancé par l’UE en mai 2009, à la suite de la guerre de 2008 entre la Russie et la Géorgie et du conflit gazier de 2009 entre l’Ukraine et la Russie.

[3] L'UE importe chaque année environ 250 milliards de mètres cubes de gaz de l'étranger, soit 70 % de sa consommation, et près de 40 % vient de Russie.

[4]  Trans Adriatic Pipeline – TAP. La société TAP est détenue par l'italien Snam (20 %), le britannique BP (20 %), l'azerbaïdjanais Socar (20 %), le belge Fluxys (19 %), l'espagnol Enagas (16 %) et le suisse Axpo (5 %).

[5] https://eeas.europa.eu/sites/default/files/eap_summit_factsheet_armenia_en_003.pdf

[6] L'ensemble des projets soutenus par l'UE sont disponibles en ligne via la plateforme EU4Armenia.am. https://eeas.europa.eu/delegations/armenia/897/eu-projects-armenia_en

[7] https://eu4business.eu/reports/citizens-summary-2020-armenia/

[8] https://www.tresor.economie.gouv.fr/Pays/AM/indicateurs-et-conjoncture

[9] Représentant 28% des exportations et  27% des importations de l’Arménie en 2019. L’UE est le 2ème partenaire commercial avec 22% des échanges.

[10] Avec 37% du total des IDE (Investissements directs étrangers).